Vendredi 12 décembre 2025
Et si l’IA était un levier pour sortir de la crise ? — Ce que le salon SIMI a vraiment raconté au monde de la ville
L’IA, une mutation plus qu’une technologie
Au salon SIMI, la table ronde « Si l’IA était un levier pour sortir de la crise » a brassé large : gouvernance, productivité, culture métier, souveraineté numérique, filières et usages. Si l’on en croit les intervenants — Gilles Babinet (Comité IA générative du Gouvernement), Meka Brunel (Fondation Palladio), Nicolas Joly (DG Icade) et Laurent Daudet (LightOn), modérés par Gaël Thomas (Business Immo) — l’intelligence artificielle n’est plus un sujet périphérique : elle déplace le centre de gravité de l’immobilier, de la conception à l’exploitation, et catalyse une révolution servicielle. Pour l’AFDU, cette bascule est majeure : elle reconfigure nos métiers, nos chaînes de valeur, et la manière même de faire ville. Autrement dit, l’IA est une mutation culturelle autant qu’un ensemble d’outils.
Partie I — De la productivité aux usages : l’IA comme moteur d’une révolution servicielle
I.1 – L’IA au delà de l’outil : du “niveau 0” aux systèmes agentiques
Pour Laurent Daudet, l’IA n’est pas seulement une technologie : c’est une « lecture d’usage » qui infuse les bases de données et les processus de communication, jusqu’à transformer les métiers. Il distingue un niveau 0 (résumés, assistance via chat), un niveau 1 (connexion aux logiciels métiers et bases internes), et un futur proche où l’IA devient une sorte d’« OS », non pas au sens strict d’Operating System, mais comme un pivot organisationnel qui orchestre les flux et les processus métiers au cœur des systèmes d’information. Autrement dit un opérateur transversal de l’entreprise.
Et demain ? L’IA ne se limitera pas à répondre à des requêtes ponctuelles. Elle évolue vers des IA agentiques : des systèmes capables d’exécuter des séquences d’actions autonomes, enchaînant plusieurs tâches pour atteindre un objectif complexe. Contrairement à une IA générative classique, l’IA agentique planifie, agit, évalue et réitère. Exemple : Analyser une base documentaire, Extraire des données pertinentes, Mettre à jour un CRM, Envoyer un rapport synthétique… sans intervention humaine entre chaque étape.
Cette évolution transforme l’IA en acteur proactif, capable de piloter des workflows entiers et de s’intégrer profondément dans les systèmes métiers.
Gilles Babinet confirme deux trajectoires : les gains incrémentaux (automatisation des tâches répétitives) et les changements de paradigme (repenser le bâtiment en accroissant sa part de services). C’est là que l’IA promet le plus, mais au prix d’une gouvernance forte et d’un travail en écosystème.
I.2 – De l’immobilier objet à l’immobilier service : nouvelles attentes, nouveaux produits
Nicolas Joly campe la rupture : l’IA impacte les usages — au bureau comme au logement — et oblige à concevoir des produits (immeubles, quartiers) pensés pour l’expérience des clients et la porosité des fonctions (travailler, habiter, apprendre, consommer). La transition vers des services immobiliers opérés devient un chantier central, avec l’IA comme catalyseur. Les indicateurs internes chez Icade — acculturation de 100% des collaborateurs, montée des usages quotidiens des outils IA, baisse du shadow AI au profit d’outils corporate — montrent qu’une appropriation est possible si le top management s’implique sur les cœurs de métier.
Sur la ville, Meka Brunel rappelle un point crucial : l’immobilier est l’industrie à 100% de pénétration (on vit et travaille sous un toit), et les data centers sont physiques (câbles, tuyaux, chaleur à recycler). L’IA, les jumeaux numériques, les datarooms et la numérisation des procédures (permis en ligne plutôt que 18 exemplaires papier) sont déjà des réalités qui doivent s’exprimer en langage grand public pour lever les peurs et accélérer l’adoption.
Partie II — Filiation, data et souveraineté : les conditions d’un passage à l’échelle
II.1 – Partager la donnée pour baisser les “coûts de transaction” : du BIM à l’IA
L’industrie du bâtiment demeure stratifiée et très régulée, et c’est l’un des rares secteurs où la productivité a reculé à 50 ans — non que le mètre carré soit identique (il est plus performant) mais parce que la coordination entre acteurs reste coûteuse. Gilles Babinet pointe une des promesses clés de l’IA : abaisser les coûts de transaction entre architectes, promoteurs, constructeurs et exploitants, là où le BIM a buté sur l’alignement des données. L’IA peut fluidifier les flux de data, à condition de briser les freins culturels et d’installer des référentiels communs de performance en exploitation, du chantier à la vie du bâtiment.
Nicolas Joly insiste : avant de toucher la transaction (où des métiers vivent de l’information), commençons par le sous jacent, c’est à dire le produit et ses data d’exploitation, partagées de bout en bout dans la filière. Meka Brunel ajoute que la transformation passera par l’industrialisation des process (hors site, procédés standardisés) et des instructions de dossiers plus technologiques côté finance.
II.2 – Souveraineté numérique et chaîne de valeur européenne : un volontarisme de long terme
La donnée européenne demeure massivement hébergée chez des cloud providers américains (~70% des données des entreprises de l’UE, selon Laurent Daudet), ce qui démultiplie la fuite de valeur au fil de l’intégration de l’IA. La question n’est pas métaphysique : peut on reconstruire en Europe des morceaux significatifs de la chaîne de valeur IA, des semi conducteurs au cloud, jusqu’aux applications génératives ? Les intervenants se montrent pragmatiquement optimistes sur les couches applicatives (capacité d’acteurs européens agiles), plus lucides sur les couches matérielles, et volontaristes sur une perspective de 15–20 ans et une gouvernance politique assumée.
Gilles Babinet va plus loin : l’Europe ne peut rester dépendante d’outils qui, de fait, constituent une « cinquième colonne » géopolitique (capacité d’interopérer et de faire pression via des services et des normes non européennes). Il appelle à des plans de résolution côté DSI/CIO et à un choix de société : appliquer des lois tierces ou payer plus cher pour rester libres et conformes à nos valeurs.
L’IA, une question ouverte pour la ville
La conférence du SIMI nous rappelle une évidence : l’intelligence artificielle n’est pas un simple outil, mais un mouvement de fond qui redessine nos métiers et nos façons de concevoir la ville. Elle interroge la donnée, les usages, la souveraineté, et jusqu’à notre capacité à travailler ensemble.
Pour l’instant, il ne s’agit pas de prétendre avoir toutes les réponses ni de lancer des dispositifs formels. Mais il est certain que ce sujet mérite d’être exploré collectivement, avec humilité et curiosité. L’IA peut être un levier pour une ville plus utile, plus sobre, plus juste — à condition de l’inscrire dans une approche humaine, ouverte et responsable.
Alors, plutôt que de subir la mutation, pourquoi ne pas en faire un chantier partagé ? Non pour céder à la fascination technologique, mais pour comprendre ce qu’elle peut apporter à nos ambitions communes : mieux coordonner, mieux décider, mieux servir. C’est dans ce dialogue, entre intelligence artificielle et intelligence collective, que se joue peut-être une part de l’avenir urbain.
AFDU
Répondre aux attentes des adhérents, susciter leur intérêt, soutenir leurs ambitions, élargir leur champ de vision en amont et en aval, président au foisonnement d’initiatives portées par l’AFDU.

